Livres : “L’art de guillotiner les procréateurs — manifeste anti-nataliste” (Théophile de Giraud)

Éditions La-Mort-qui-Trompe, Nancy, France, 2006.

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« Les femmes enceintes seront un jour lapidées, l’instinct maternel proscrit, la stérilité réclamée. »

Cioran, Le Mauvais Démiurge.

« Essayez de persuader les gens de s’abstenir de procréer au nom de la moralité – grands dieux ! quel tollé ! »

Léon Tolstoï, La Sonate à Kreutzer.

« Des millions d’hommes meurent de faim, l’injustice, l’obscu­rantisme sont partout ; on arrête, on emprisonne, on déporte, on torture, on répand le sang, on diffuse le mensonge corrupteur, on entretient l’analphabétisme, on étouffe les idées généreuses, on anéantit les consciences – pendant ce temps­là, nos célé­ brités littéraires font de la littérature confortable, c’est­à­ dire du pur fumier, se prostituant au public de toutes les façons, notamment par l’intermédiaire de cette entreprise de décérébration qu’est notre actuelle télévision. Entre gens de bonne compagnie, on brode sur des idées usées – mais ce qui compte aujourd’hui, c’est la faim dans le monde, la non­culturisation des masses, la pollution de la nature par l’abus chimique, la démographie anarchique, les menaces de l’arsenal nucléaire. Le reste, madame, on s’en fout ! »

Louis Calaferte, Droit de Cité.

paratonnerre

Il n’est pas interdit de lire ce texte cum grano salis ni de le prendre pour ce qu’il est : un cri de rage teinté d’humour noir, mais non moins gymnopithécophile sous son épiderme de cynisme hilare.

bulletin météorologique

Chaque année de par le monde, un million de personnes mettent fin à leurs jours et plus de 12 millions d’autres en font la tentative.
Source : OMS 2002.

dédicace

Aux centaines de millions de suicidés passés, présents et prochains, ce réquisitoire où retentiront maintes de leurs fureurs. À tous les adolescents aussi que leurs parents emmerdent au-delà du raisonnable.

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intromission

Voici venu le temps de bander l’accusation contre les véritables artisans de tous les malheurs charcutant jour après jour notre misérable humanité : les géniteurs !

La philosophie a débattu de toutes les questions qui s’imposent à l’esprit humain, hormis une seule : la validité éthique de la Procréation. Aucun ouvrage pour en décortiquer le bien-fondé, ou pour en démontrer la nature criminelle. Tabou suprême ! Scotomisation absolue. Comme si la procréation était notre ultime idole, notre illusion caudale, le sanctuaire blindé où le questionnement semble n’avoir pas le droit de s’exercer ! Et pourtant, derrière cette étrange sacralité de la fécondité, que de perversions l’observateur attentif ne pourrait-il pas découvrir…

Cet ouvrage aura donc l’ambition de combler une lacune dans l’histoire de la pensée en proposant au lecteur un argumentaire anti-nataliste qui, à défaut d’atteindre à la parfaite exhaustivité, dessinera du moins les lignes de force sur lesquelles devra s’appuyer tout débat futur concernant le droit ou non d’imposer la vie à un incréé, lequel n’en voudrait sans doute point s’il en connaissait d’avance toutes les inexpugnables difficultés.

Si nulle monographie ne s’était encore risquée à démonter pièce par pièce le malsain édifice sophistique où se retranchent les acclamateurs de la Naissance, combien d’auteurs par contre, à toutes les époques, sur tous les continents, redoublèrent de prolixité pour se perdre en lamentations polymorphes sur notre douloureuse condition ! On ne compte plus, en littérature ou en philosophie, les clameurs vigoureusement pessimistes ni les protestations cinglantes contre le fait d’avoir été mis au monde.

Quelques citations tirées des meilleurs esprits suffisent à s’en convaincre.

Tel est le sort que les dieux ont filé pour les malheureux mortels : vivre dans la douleur.

Homère, Iliade. Grèce, VIIIe siècle av. J.-C.

Mieux vaut cent fois n’être pas né ; Mais s’il nous faut voir la lumière, Le moindre mal encore est de s’en retourner là d’où l’on vient, et le plus tôt sera le mieux !

Sophocle, Œdipe à Colone. Grèce, Ve siècle av. J.-C.

La vie humaine n’est que souffrances, et il n’y a nulle trêve à ses peines.

Euripide, Hippolyte. Grèce, Ve siècle av. J.-C.

La vie d’un homme s’accompagne dès la naissance de soucis de toute espèce. La vie n’est que poussière et ordure.

Tchouang-Tseu, Œuvre. Chine, IVe siècle av. J.-C.

Vivre m’est un ennui si pénible et si long que j’invoque le trépas.

François Pétrarque, Canzoniere. Italie, XIVe siècle.

Ha ! Mort, le port commun, des hommes le confort, Viens enterrer mes maux, je t’en prie à mains jointes ! Heureux qui ne fut jamais.

Pierre de Ronsard, Sonnets. France, XVIe siècle.

Le bien­être est dans le ciel ; mais nous sommes sur terre, Où tout n’est que contrariétés, souci, et chagrin.

William Shakespeare, Richard II. Angleterre, XVIe siècle.

Je ne sais par quelle aventure ma mère me donna le jour, Mais en cela dame Nature me joua, certes, un vilain tour.

Francisco de Quevedo, Malchance. Espagne, XVIIe siècle.

Il faut pleurer les hommes à leur naissance, et non pas à leur mort.

Montesquieu, Lettres persanes. France, XVIIIe siècle.

La vie m’est un fardeau, je désire la mort et j’abhorre l’existence. Oh ! que ne suis­je jamais né !

Goethe, Faust. Allemagne, XIXe siècle.

Un certain soir détestable j’eus le malheur de naître.

Lermontov, Un Héros de notre Temps. Russie, XIXe siècle.

Après le malheur de naître, je n’en connais pas de plus grand que celui de donner le jour à un homme.

Chateaubriand, Mémoires d’Outre­Tombe. France, XIXe siècle.

La vie est un mal.

Auguste Strindberg, Coram Populo. Suède, XIXe siècle.

La Paix s’obtient dans la mort. Il faut mourir pour entrer dans la Paix.

Natsume Sôseki, Je suis un Chat. Japon, XXe siècle.

Le rêve, le seul rêve est de n’être pas né.

André Breton, L’Immaculée Conception. France, XXe siècle.

Inutile d’insister, nous pourrions multiplier ces culpabilisantes doléances par dizaines de milliers. Pour un échantillon un peu plus étoffé, nous suggérons au lecteur de parcourir l’Appendice I : il y découvrira à quel point la psyché collective s’indigne de n’avoir dû naître que pour nager incommensurablement plus souvent sous une banquise d’insatisfactions que dans un lagon de complétude.

On le voit, le plaisir de vivre, litote, semble loin de faire l’unanimité… Quelle illusion par conséquent de penser que nos parents nous enfantent pour notre propre bien ! Seule les préoccupe la jouissance qu’ils pourront tirer de notre présence. Nous n’existons en vérité que pour remplir d’aise ces profiteurs qui ont l’impensable hypocrisie de se faire passer pour nos bienfaiteurs, et poussent l’inhumain culot jusqu’à réclamer de nous gratitude, obéissance et piété filiale, sans compter les présents divers censés orner les incompréhensibles Fêtes des Mères et des Pères !

Un des plus adamantins monarques spirituels de l’humanité, le Bouddha, nous avait pourtant sévèrement avertis en proclamant son célèbre « Sarvam Duhkham : Tout est Souffrance », non seulement la naissance, la maladie, le travail, la vieillesse et la mort, bien entendu, mais même le bonheur puisque nous devrons inévitablement le perdre et porter le deuil de cette perte…

Répondez sans dérobade : s’il existait une solution capable d’abolir la totalité des maux dont gémit notre désastreuse humanité, s’il était possible, par le biais d’un remède simple, immensément peu dispendieux, immédiatement accessible, scrupuleusement inoffensif, d’une efficacité absolue et définitive, de mettre un terme à toute détresse, à toute larme, à tout cri de douleur, à toute pathologie, à toute protestation de mal-être, à tout désespoir, à tout cataclysme, à toute angoisse, à tout malheur, bref à toute torture affligeant l’espèce humaine, auriez-vous la macabre inintelligence de dédaigner un tel remède, de mépriser une telle miraculeuse panacée ? Non, cela va sans dire.

Eh bien cette solution existe, et l’arcane s’en livre ici : elle consiste tout bonnement, en sa sainte, ovoïde et colombienne simplicité, à cesser de procréer…

Pour qui connaît vraiment le monde, tout y est souffrance.

Patanjali, Yoga­Sûtra. Inde, IIe siècle av. J.-C.

Il n’y a rien d’aussi fallacieux, d’aussi perfide que la vie humaine ; personne, grands dieux ! n’en voudrait, si nous ne la recevions à notre insu. Si donc la félicité suprême est de ne pas naître, celle qui s’en rapproche le plus est, j’imagine, de disparaître au plus tôt et de retourner rapidement au néant originel.

Sénèque, Consolation à Marcia. Rome, Ier siècle.

Le vivant est, quand il est en vie, plongé et immergé dans la souffrance ; et la situation dans laquelle il n’y a pas de souffrance est plus salutaire que la situation dans laquelle il y en a. La mort est donc plus salutaire à l’homme que la vie.

Razi (Rhazès), La Médecine spirituelle. Arabie, Xe siècle.

Le séjour dans la prison terrestre me cause, hélas, une infinité de maux !

Arrêtez dès maintenant de vous reproduire comme n’importe quelle tribu de primates arboricoles et d’ici moins d’un siècle, toute souffrance humaine aura disparu de la surface de la terre !

Hélas, une grimace entortille votre proboscide : vous voudriez conserver l’existence, mais sans avoir à payer le tarif de ses inconvénients. À notre plus haut regret, il nous faut vous annoncer que cela s’entrechoque dans l’incompatible : vivre c’est, de toute nécessité, souffrir, puisque tout bonheur ne s’achète qu’au prix de cent efforts déplaisants…

Quoi ! Une solution palpite qui porterait remède à toutes les afflictions dont se plaignent sans répit les humains et vous hésitez à vous en emparer ? Une telle fin de non-recevoir vous identifie comme sado-masochiste : non seulement vous vous complaisez dans cette vaine souffrance que nous nommons existence, non seulement vous cautionnez, comme le pire des collaborateurs, la présence d’une telle souffrance, mais en outre, ô tudesque cruauté, vous avez la prétention de l’imposer à d’autres, qui ne la réclament pas !

Vous voulez exister, vous reproduire, mais le méritez-vous vraiment ? Est-ce la noblesse d’âme qui vous meut ou bien seulement l’égoïsme le plus bitumineux ?

Inutile de feindre : l’enfant, c’est un cadeau que les parents se font à eux- mêmes. Nous y reviendrons.

[Pdf du livre]